21.
Un homme différent
Au lieu de ramener Farrell avec elle au Royaume d’Émeraude, Swan décida plutôt de passer un peu de temps seule avec lui. Elle voyagea donc d’Opale à Zénor sous les averses, contente de voir enfin le ciel se déchirer en lambeaux pour laisser passer les chauds rayons du soleil lorsqu’elle atteignit les territoires du sud. Du haut de la falaise qui surplombait l’ancienne cité de Zénor et son château, elle remarqua que le mur est de la forteresse était presque complètement réparé. Les habitants du royaume comptaient-ils y installer de nouveau la famille royale ?
Pour ne pas être importunée par ses compagnons pendant qu’elle laisserait Farrell lui faire la cour. Swan décida de se couper d’eux. Elle leur bloqua ses pensées. Elle descendit sans se presser le sentier creusé dans le roc, pour ne pas infliger de blessure inutile à son cheval de guerre. Elle se rappela la nuit où Kira avait dû l’escalader en vitesse. Étonnamment, sa petite pouliche blonde n’avait subi aucune égratignure dans sa course folle.
En galopant vers le palais, Swan sentait son cœur battre de plus en plus fort. Elle connaissait Farrell depuis peu de temps, mais elle savait, au plus profond d’elle-même, qu’elle ne pourrait plus jamais se passer de lui. Elle franchit l’arche de la muraille, dont les portes avaient disparu. Le paysan l’attendait, debout devant l’entrée de l’écurie. La femme Chevalier sauta de cheval et se précipita dans les bras de son amant. Ils échangèrent de longs baisers qui firent oublier à Swan son combat contre les rats et les crocs de Sélace.
— Je pensais que tu n’arriverais jamais, susurra le paysan en l’embrassant dans le cou.
— Pourtant, je ne me suis presque pas arrêtée depuis mon départ d’Opale, répliqua-t-elle en fermant les yeux.
— As-tu vu tout le travail que j’ai effectué sur le mur ?
— Ce n’est pas l’architecture qui m’intéresse en ce moment.
Farrell l’entraîna sur la pelouse, qui commençait à peine à repousser après l’assaut des chevaux des Chevaliers, et lui arracha ses vêtements, Swan ne protesta d’aucune manière. Ils firent longuement l’amour, comme s’ils étaient les deux seuls survivants du monde, puis ils s’allongèrent l’un près de l’autre pour contempler les nuages nacrés qui glissaient sur un ciel merveilleusement bleu.
— C’est encore toi qui répands tous ces rayons de soleil ? demanda soudain Swan en se retournant sur un coude.
— Non, ce n’est plus nécessaire. La saison est en train de changer.
Elle caressa son visage détendu en le sondant. Un sourire amusé apparut sur les lèvres du jeune homme qui ressentait son incursion dans son cœur. Tu es beaucoup plus fort que tu le prétends, Farrell d’Émeraude, protesta-t-elle avec son esprit.
— Je ne sais pas qui je suis…
— Il va vraiment falloir que nous canalisions tes incroyables pouvoirs.
Il haussa les épaules et leva de nouveau les yeux sur les hautes tours du château.
— Tu peux me parler du mur maintenant, le taquina Swan. Est-ce le Roi de Zénor qui t’a demandé de reconstruire sa forteresse ?
— Non. Personne n’est venu après votre départ pour le royaume assiégé.
— Mais comment as-tu survécu ces derniers jours ? s’inquiéta Swan.
— Je me suis débrouillé, répondit-il en pointant le faucon de Sage, perché sur un arbre au milieu de la cour. C’est un excellent chasseur et, quand on sait s’y prendre avec lui, il accepte de partager ses proies.
— Nous allons quand même devoir le rendre à son maître.
— Je n’ai jamais eu l’intention de le garder ! s’offusqua Farrell. Je ne suis pas un voleur !
— Ce n’est pas ce que j’ai insinué non plus, le rassura-t-elle doucement. Je sais que tu n’es pas un criminel. N’oublie jamais que j’ai accès à ton âme. Je sais fort bien que sous tes allures désinvoltes se cache un cœur en or qui n’a jamais eu l’occasion de s’exprimer. Tu as appris à me révéler ta tendresse et ta vulnérabilité avec ton corps et bientôt, tu le feras aussi avec des mots.
— Mais moi, je ne sais pas lire dans l’âme des autres, grommela-t-il, la tête baissée. Je continue même de me demander si je ne t’ai pas inventée dans un rêve.
— Alors, tu crois que je ne suis pas réelle ? se moqua-t-elle en lui pinçant la hanche.
Il poussa un cri de surprise et s’éloigna de la femme Chevalier.
— Toute ma vie, les gens autour de moi m’ont détesté, mais toi, tu m’as aimé en posant les yeux sur moi. Ce n’est pas normal, Swan.
— C’est parce que moi, je peux voir qui tu es vraiment sous tes airs farouches et tes paroles intimidantes. Je ne crains pas ta magie. Au contraire, elle me fascine. Et puis, ton énergie ressemble tellement à la mienne ! Je sais que je ne serai jamais malheureuse auprès de toi.
Il ramassa leurs vêtements, saisit la main de sa belle et l’entraîna à l’intérieur du palais, jusqu’au grand hall qu’il occupait depuis le départ des Chevaliers. Ils s’installèrent devant l’énorme âtre de pierre. Cette fois, c’est elle qui prit l’initiative de leurs ébats. Il fit mine de résister à ses avances mais, décidément, leurs corps semblaient faits l’un pour l’autre. Même si Wellan lui avait donné l’ordre de rentrer au Royaume d’Émeraude sans tarder, Swan résolut de rester quelques jours de plus dans les bras de Farrell à savourer un moment de répit bien mérité.